Rencontre d'un soir
La qualité d'une journée se mesure dans l'énergie vitale qu'elle nous apporte.
J'avais réservé une place dans un concert de bols tibétains donné par Jimmy Thériault au Monastère des Augustines. La semaine avait été intense et la seule pensée d'aller relaxer pendant deux heures dans une ambiance méditative et musicale me mis dans d'excellentes dispositions dès le matin.
Ce jour là, une pluie fine, froide et pénétrante avait rendue la journée grise et humide. Malgré ce temps maussade, je me sentais calme et pleine d'énergie. Je m'étais réchauffée en après-midi auprès d'autres personnes employées par des organismes d'aide en santé mentale. Partager des expériences et une volonté de construire autour de valeurs communes fut un excellent moyen de raviver la flamme qui nous anime.
Le travail terminé, je pris le temps de rentrer chez moi pour me reposer, souper, puis prendre le bus pour aller au concert. Même après une journée très active, je ressentais du calme et un grand alignement intérieur. Comme si l'énergie du concert m'avait déjà enveloppée bien avant qu'il n'ait eu lieu.
Descendre du bus, remonter les rues luisantes de pluie jusqu'au Monastère, contribua à me préparer au concert. L'humidité, l'écoulement de l'eau sur mon imperméable, la fraîcheur de l'air éveillèrent mes sens. Mon corps se dégageait doucement des tensions qui l'habitaient encore, pour les laisser couler jusqu'au sol, entraînées par l'eau tombée du ciel. La lourde porte de verre et de fer céda sous ma poussée et me voilà entrée dans la cour intérieure où m'attendait un arbre creux sculpté de lumière.
Changement d'espace. Le Monastère transporte dans un autre temps.
Le concert est prévu dans la crypte du XVIIe siècle, à hauteur des fondations d'origine de la bâtisse. C'est un lieu consacré et ancien, où l'acoustique réverbère juste assez sur les pierres antiques pour que les sons se croisent sans se briser. L'énergie y est aussi très particulière : ancrée dans la Terre, elle s'ouvre vers le Ciel grâce aux siècles de prières chantées par les moniales.
Avant d'entrer nous avons laissé nos manteaux trempés dans le vestiaire. J'ai profité de cette transition pour regarder les gens autour de moi. Beaucoup de couples et d'amies, quelques personnes seules. Je ne connaissais personne dans l'assemblée et j'ai souri avec bienveillance. Des sourires en réponse. Nous connectons en silence.
L'heure est venue. Le palier d'entrée de la crypte s'est ouvert sur un court bout de couloir. Nous avons enlevé nos chaussures pour entrer dans cet espace fermé, ceint de pierres blanchies. Le plafond, assez haut, était baigné d'une douce lumière dorée. Les bols tibétains de toutes tailles étaient disposés en arc-de-cercle face au mur à ma gauche. Les chaisières et coussins de méditation leur faisant face.
Je me suis installée vers l'avant et une femme brune aux cheveux mi longs s'est installée à ma gauche. Elle n'est plus tout à fait une inconnue, nous avions partagé un sourire un peu plus tôt. La guide du monastère nous parle de quelques activités et c'est alors que je remarque que ma voisine est anglophone. Elle s'est exclamée discrètement en anglais. J'engage une courte conversation le temps que le concertiste se mette en place. Elle vient des États Unis et ne parle pas le français. J'ai commencé spontanément à traduire. Jimmy Thériault arrive à ce moment là et demande en anglais s'il y a d'autres anglophones. Trois personnes lèvent la main. Tout le long du concert, il parlera le plus souvent en français, et je continue à traduire les points importants pour aider ma voisine à suivre, il m'en remercie.
Vient le moment d'échange après le bain musical. Nous avons choisi un bol ensemble, partagé ses vibrations, posé avec délicatesse et écoute le bol sur le corps de l'autre pour le faire chanter, en harmonie profonde. Un pur moment de magie sonore et de connexion humaine.
L'activité se termine. Nous nous séparons avec un sourire, heureuses d'avoir vécu ce moment ensemble. Elle m'exprime sa reconnaissance pour la traduction et nous rentrons, chacune de notre côté.
La transition s'opère vers le retour au monde. Passé l'entrée du Monastère où l'arbre creux lance sa blanche lumière vers un ciel sans lune, la nuit me happe pour me ramener au quotidien des rues sombres et mouillées, percées de feux électriques. La pluie a cessé.
Je marche. Légère, profonde, alignée, et en paix. La nuit sera bonne.